Erreur judiciaire et procès équitable

Publié le par SAYONCOUL

Par Sayon COULIBALY et collègues

Juriste d'Affaires

 

 

 

La justice humaine est loin d’être infaillible. Il suffit de voir dans le code de procédure pénale pour se rendre compte avec la présence des voies de recours visant à corriger les éventuelles erreurs pouvant être commises  par les juges. La présence de ces voies de recours diminue le risque d’erreurs mais ne le réduit pas à néant. Les erreurs judicaires sont beaucoup plus fréquentes en matière civile que pénale. Mais, à la différence du civil, le pénal porte beaucoup plus atteinte aux droits humains.

Pour les non juristes, constitue une erreur judiciaire tout dérapage commis par les acteurs de la justice ; tandis que pour les initiés, on ne peut parler d’erreur judiciaire que lorsque la décision devient définitive. Mais de façon générale,  « l’erreur judiciaire est la reconnaissance légale par l’institution judiciaire elle-même de l’innocence d’une personne antérieurement condamnée »[1]

Les erreurs judiciaires pénales n’ont pas commencé aujourd’hui. Au contraire, elles étaient courantes à une époque où les préoccupations d’un procès équitable étaient quasi-inexistantes et où le suspect était automatiquement considéré comme le coupable. Actuellement, l’équité du procès est un souci permanent de premier rang dans la plupart des sociétés modernes exhortées par les conventions internationales de protection des droits de l’homme.  Toutefois, l’erreur judiciaire surgit lorsque les exigences d’un procès équitable sont foulées  ou négligées par les acteurs chargés de rendre la justice. D’autres facteurs moins importants peuvent causer l’erreur judiciaire tels que les influences exercées par les médias et l’opinion publique. Ces influences ne sont pas certes, insurmontables si les policiers et les juges font preuve de professionnalisme.

Quels sont alors les principes du procès équitable dont la violation conduit généralement à des erreurs judiciaires ? Et quelles sont les solutions dont disposent les victimes d’erreurs judiciaires ?

L’erreur judiciaire peut survenir à chaque étape du procès pénal.  Il convient donc d’analyser les causes de l’erreur judiciaire avant et pendant le procès, puis envisager les solutions qui s’offrent à la victime d’une erreur judiciaire.

 

I-                 Les causes de l’erreur judiciaire : 

Les erreurs judiciaires prennent généralement naissance avant le procès durant l’enquête préliminaire, elles se poursuivent durant l’instruction préparation pour arriver jusqu’à la phase de jugement. 

A-  Avant le procès :

L’attitude des policiers chargés, dès la commission d’une infraction, d’identifier le ou les suspects favorise dans beaucoup de cas les risques d’erreurs judiciaires, ainsi que celle du juge d’instruction qui informe souvent uniquement à charge.

1)    L’enquête préliminaire : les pratiques policières

Les policiers sont généralement les premiers à intervenir après la commission d’une infraction. Ils doivent veiller, à cet effet, à la conservation des indices trouvés sur les lieux, d’auditionner les éventuels suspects et entendre les différents témoins.

Dans beaucoup de cas d’erreurs judicaires, les policiers ne procèdent pas valablement au prélèvement des indices retrouvés sur le lieu du crime, ou négligent parfois certains d’entre eux qui peuvent s’avérer déterminants pour l’établissement de la preuve.

Par ailleurs, les policiers orientent souvent leurs investigations sur un seul suspect traité comme un vrai coupable. Ils cherchent par tous les moyens à extorquer des aveux. La loi n’exigeant pas la présence d’un avocat durant les premières quarante huit heures de la garde à vue (Art.66 al.5 CPP), ils sont seuls face au suspect souvent inhabituel des postes de police. Les policiers usent parfois de la torture morale pour faire craquer les suspects qui passent à l’aveu mais se rétractent généralement devant le juge d’instruction.

La manière par laquelle la police auditionne les suspects est assez brutale. En effet, ils font souvent quarante huit heures d’affilé  à poser des questions au suspect qui n’a le droit ni de se reposer, ni de manger, ni de dormir, et beaucoup finissent par avouer un crime qu’ils n’ont pas commis[2].

En outre, la façon de rédiger les procès-verbaux peut aussi induire en erreur, d’où la nécessité de transcrire exactement les dires du suspect sans modification.

Les faux témoignages reçus par les policiers sans aucun soupçon conduisent également la justice à commettre de graves erreurs judiciaires. C’est ainsi qu’en France, les faux témoignages des habitants d’un petit village (La Motte-du-Caire) hostiles à leur voisin agronome Richard Roman, ont failli conduire à la condamnation d’un innocent3.

Enfin, il faut noter que les policiers ignorent totalement le principe de la présomption d’innocence ; ils traitent les suspects comme des coupables. Ce qui a pour conséquence d’entacher  la procédure d’erreurs graves qui se poursuivent jusqu’à l’instruction sous le regard laxiste des juges d’instruction.

2)    La phase d’instruction préparatoire : laxisme des juges d’instruction

Consciente du fait que la recherche des éléments de preuves laissée totalement aux officiers de la police judiciaire représente un danger pour les droits de la défense dans le procès, la loi a prévu l’intervention d’un officier supérieur, un magistrat du siège afin que le procès puisse être équitable. Le juge d’instruction saisi d’un dossier doit normalement procéder à plusieurs investigations pour découvrir la vérité. Mais, force est de remarquer qu’ils se contentent de suivre passivement les officiers de la police judiciaire qui officient uniquement à charge.

Le juge d’instruction doit instruire à charge et décharge. Il faut reconnaitre que cette exigence est très rarement respectée dans la pratique.  En plus de cela, la plupart des actes d’instruction qui sont effectués par le juge d’instruction, sont en fait réalisés par les officiers de la police judiciaire par le biais des délégations.

Les experts peuvent aussi induire la justice en erreur. En effet, les magistrats sont, dans beaucoup de cas, incapables de remettre en cause le rapport d’expertise. Ils se contentent de suivre la position de l’expert. Or, celui-ci, aussi professionnel soit-il, peut commettre des erreurs et la science, elle-même, n’est pas infaillible.

C’est pourquoi, les résultats apportés par l’expert doivent être discutés contradictoirement. Les erreurs d’expertise sont rares dans les sciences exactes comme la génétique, la balistique etc... Mais dans les sciences non exactes, elles surviennent parfois. Il s’agit notamment de la psychiatrie, de la graphologie… surtout avec l’affaire Dreyfus.  En 1894, un officier juif d’état major français a été condamné à la réclusion perpétuelle et déporté en Guyanne pour espionnage en faveur de l’Allemagne sur la base d’une lettre supposée être écrite par lui et qui s’est avérée fausse plus tard[3]. La recherche des preuves étant altérées par des erreurs, ce train d’erreur se poursuit finalement jusqu’au procès.

B-   Pendant le jugement :

Le juge décide d’après son intime conviction (Art.286 CPP). Ce principe est, selon Henri LECLERC, « non une impression, un sentiment, mais une certitude absolue fondée sur la raison, qui disparait devant le moindre doute, pourvu que celui-ci soit raisonnable… »[4].

 La pratique est souvent toute autre, car les juges préfèrent adoucir la peine plutôt que d’acquitter. C’est ainsi que le bénéfice du doute a été refusé à Omar Raddad, accusé puis condamné pour le meurtre de Mme Maréchal. La victime avant de mourir aurait écrit sur les portes de la chaufferie avec son propre sang « Omar m’a tuer » (avec la faute d’orthographe devenue célèbre)[5].

Le système  de l’intime conviction n’est pas en soi mauvais, mais il faut que les juges arrivent à se défaire des préjugés et des influences extérieures qui influent souvent sur leur jugement.  Par exemple au Maroc, au milieu des années 90, la région de Doukkala est sous le choc. Des assassinats de femmes sont commis à différents endroits et la population commence à s’inquiéter devant l’absence de réaction de la part des forces de l’ordre. Une certaine psychose s’installe. Sous la pression populaire, des investigations sont menées hâtivement et tous les moyens sont mis en œuvre pour arrêter le coupable. Dans la précipitation, deux suspects sont arrêtés et condamnés à la réclusion perpétuelle. Huit ans après, le vrai coupable a été retrouvé à la suite d’un autre crime et a avoué les autres. Quant aux victimes condamnées, elles ont été libérées sans aucune révision  de leurs décisions de condamnation.[6] 

Enfin, la justice à beau s’entourer du maximum de garantie, elle reste vulnérable aux risques d’erreurs judiciaires, d’où la nécessité d’envisager des mesures susceptibles  pour y remédier.

II-              Les mesures prises à l’encontre des erreurs judiciaires :

Deux sortes de mesures peuvent être prises à l’encontre des erreurs judiciaires : d’une part, assurer une réparation aux victimes d’erreur judiciaire, et d’autre part, procéder à quelques réformes et formation des membres de la police judiciaire.

A-  La réparation de l’erreur judiciaire :

La réparation vise essentiellement à rétablir, autant qu’il est possible, l’équilibre détruit par le dommage.

La réparation d’une erreur judiciaire est difficile, car les préjudices causés sont énormes et parfois irréversibles.

Qui doit en principe réparer l’erreur judiciaire ?

C’est à l’Etat qu’incombe cette charge, car l’indépendance des juges exige de les mettre à l’abri des poursuites incessantes de la part des victimes.

Toutefois, les juges n’en demeurent pas moins responsables et doivent répondre de leurs actes et comportements.

Les magistrats se trouvent en effet soumis à quatre régimes distincts de responsabilité : leur responsabilité pénale est susceptible d’être engagée ; ils ne sont pas à l’abri de poursuites disciplinaires ; un contrôle hiérarchique est exercé par les chefs de cours et de juridictions, et leur responsabilité civile peut être retenue, dans le cadre d’une action récursoire, pour faute personnelle.

La procédure de rectification et de réparation des erreurs judicaires est prévue par les articles 565 et suivants du nouveau code de procédure pénale de 2002.

La voie de recours offerte à la victime d’erreur judiciaire est le pourvoi en révision. La condamnation doit consister en un crime ou un délit. Les contraventions sont ainsi exclues du domaine de la révision.

Les cas de recevabilité d’un pourvoi en révision pour erreur judiciaire sont fixés par l’article 566 du code de procédure pénale. Le recours n’est recevable que :

-         Lorsqu’après une condamnation pour homicide sont produits des pièces ou éléments de preuves dont résultent des présomptions ou indices suffisants de l’existence de la prétendue victime d’homicide ;

-         Lorsqu’après une condamnation, une deuxième décision condamne pour le même fait un autre inculpé et que les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction établit la preuve de l’innocence de l’un des condamnés ;

-         Lorsqu’un témoin entendu a été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour  faux témoignage contre l’accusé, le témoin ainsi condamné ne peut pas être entendu en cette qualité dans les nouveaux débats ;

-         Lorsqu’après une condamnation un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats sont présentes, de nature à établir l’innocence du condamné.

Ces cas sont vraiment limitatifs, ce qui a pour conséquence de rendre difficile la reconnaissance officielle de l’erreur judiciaire. Mais, la victime peut, dans tous les cas solliciter la grâce royale.  Cette dernière permet peut être de redonner la liberté à la victime, mais ne la blanchit pas  et continue d’être considérée comme un coupable.

Par ailleurs, plusieurs personnes peuvent demander la révision pour erreur judiciaire. Il s’agit notamment du procureur général du roi près  la cour suprême sur sa propre initiative ou à la requête du ministre de la justice ; du condamné ou, en cas d’incapacité, de son représentant légal ; du conjoint après la mort ou l’absence déclarée du condamné, à ses enfants, à ses héritiers, à ses légataires et à ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse avant sa mort ; le ministre de la justice après avis d’une commission (composée de directeurs du ministère et de trois magistrats de la cour suprême désignés par le président de la dite cour, en dehors de la chambre pénale) pour ce qui concerne la découverte d’un nouveau élément dans l’affaire après la condamnation.

La procédure de révision se déroule devant la chambre pénale de la cour suprême. La nouvelle décision, selon l’art 573 CPP, d’où résulte l’acquittement du condamné peut, sur demande de la victime à tout état de la procédure, allouer des dommages-intérêts à raison du préjudice que lui a causé la condamnation. Elle doit apporter la preuve des dommages qu’elle a subi.

Si la victime de l’erreur est décédée, le droit de demander des dommages-intérêts appartient, dans les mêmes conditions, à son conjoint, à ses ascendants et descendants. Il appartient aux parents d’un degré plus éloigné qu’autant qu’ils justifient d’un préjudice matériel résultant pour eux de la condamnation.

En plus de l’attribution de dommages intérêts, la cour suprême peut décider une large publicité de la décision d’acquittement, à différents endroits, dans différents journaux et même au bulletin officiel, et sa publication dans cinq journaux, au choix du demandeur en révision. Tout ce ci pour redorer l’image de la victime et réparer le préjudice moral qu’elle a subi.

Il faut reconnaître que les dispositions du code de procédure pénale sont insuffisantes sur la question de la réparation. La loi a omis de déterminer les modalités de calcul des dommages intérêts. En plus de cela, la taxe judiciaire à verser pour le pourvoi en révision est assez élevée[7] et la procédure est trop longue.

B-   Quelques solutions :

« La plus grande source d'erreur judiciaire n'est pas vraiment le système judiciaire, mais les hommes qui l'appliquent. »[8]Donc, une attention particulière doit être portée sur la formation des officiers de la police judiciaire, dans le sens de plus de professionnalisme et afin qu’ils veillent au  respect du principe de la  présomption d’innocence. Ils n’accordent pas la moindre valeur aux dires du suspect mais orientent au contraire leurs interrogatoires vers leur propre thèse, quitte à extorquer des aveux par la coercition psychologique ou physique très contestable. D’avance, le suspect est considéré comme coupable parce que capable d’avoir commis tel délit ou tel crime[9].   

Par ailleurs, il est important de permettre au suspect de communiquer avec un avocat dans les premières heures de la garde à vue afin de protéger les droits de la défense au lieu d’attendre la prolongation de la durée de celle-ci. L’intervention d’un avocat pourrait permettre d’éviter les situations de tortures physiques ou morales et les aveux extorqués.

Le fait de confier l’instruction à un seul juge augmente le risque d’erreurs et diminue la qualité des vérifications à effectuer par cet officier supérieur sur les actes de la police. Il est donc opportun de confier l’instruction à une chambre spéciale composée de plusieurs juges au lieu d’un seul, comme c’est le cas de la France.

                           

 

 

Sommaire

Introduction……………………………………………………………………...2

I-                  Les causes des erreurs judiciaires………………………………………3

A-  Avant le procès…………………………………………………….3

1)    L’enquête préliminaire…………………………………………3

2)    L’instruction  préparatoire……………………………………...4

B-   Pendant le jugement………………………………………………..5

II-               Les mesures prises à l’encontre de l’erreur judiciaire………………..5

1)    La réparation de l’erreur judiciaire………………………………...6

2)    Quelques solutions…………………………………………………9

 

 

BIBLOGRAPHIE

 

1)    JOUVET (L),Socio-anthropologie de l’erreur judiciaire, Paris, L’harmattan 2010 ;

2)    FICHEAU (A),« ERREURS JUDICIAIRES », Mémoire de D.E.A Droit et justice, Université de LILLE II- Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales, Année universitaire 2001-2002 ;

3)    JACOT (M),Délit de justice : « l’affaire Michel Peuron et autres erreurs judiciaires », Paris, Bayard Editions 1999 ;

4)    MARZOUGUI (M),Code de procédure pénale (traduction intégrale non officielle), Dar Assalam- Rabat, 1ere édition 2009 ;

5)    BOUCETTA (F),« Erreurs judicaires : réparer le mal relève souvent de l’impossible », Laviéco, 25/01/2010.

6)    LAILLER (M), VONOVEN (H), « Les Erreurs Judiciaires et leurs Causes », Editeur : A. Pedone (Paris) ,1897



[1] JOUVET (L), Socio-anthropologie de l’erreur judiciaire, Paris, L’harmattan 2010, p.14.

[2] FICHEAU (A), « ERREURS JUDICIAIRES », Mémoire de D.E.A Droit et justice, Université de LILLE II- Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales, Année universitaire 2001-2002, p.12.

3 JACOT (M), Délit de justice : « l’affaire Michel Peuron et autres erreurs judiciaires », Paris, Bayard Editions 1999,  p.149.

[3] FICHEAU (A), op.cit, p.21.

[4]JACOT (M), op.cit, p.6.

[5] Ibid., p.159.

[6] BOUCETTA (F), « Erreurs judicaires : réparer le mal relève souvent de l’impossible », Laviéco, 25/01/2010, p.1.

[7] BOUCETTA (F), op.cit, p.5.

[8] Selon Me Poupart, avocat à l'aide juridique et professeur de droit criminel à l'Université de Montréal, dans la revue Justice, mars 1984.

[9]JACOT (M), op.cit, p.162.

 

Publié dans DROIT DES AFFAIRES

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