LES CONSEQUENCES JURIDIQUES ET FISCALES DE LA VENTE IMMOBILIERE
Par Sayon COULIBALY
Juriste d'Affaires
« La vente immobilière est un contrat par lequel l’une des parties transmet la propriété d’un bien immeuble ou d’un droit réel à l’autre contractant contre un prix que ce dernier s’oblige à lui payer ».[1] L’objet de contrat peut consister soit en un terrain bâti ou non bâti soit en un terrain agricole ou urbain. Toutefois, dans la pratique, les immeubles bâtis situés dans les zones urbaines font plus l’objet d’opération de vente à tel point que le secteur de l’immobilier est devenu un vrai créneau de croissance pour certains pays notamment le Maroc. En effet, la part de l’immobilier dans le PIB marocain dépasse 6,2% depuis 2006 et en 2010 sa valeur ajoutée à l’économie nationale a atteint 50,21 MMDH. Le dynamisme de ce secteur contribue, par ailleurs, à la résorption du taux de chômage et à la création d’un cadre de vie sein pour les ménages pauvres grâce à la promotion des logements sociaux.
L’opération de vente immobilière est devenue certes courante mais elle demeure complexe et met en jeu des intérêts de plus en plus élevés. Les parties ont donc régulièrement recours à l’office d’un notaire pour sécuriser au maximum cette opération. Ce recours s’explique d’autant plus par l’obligation faite aux parties, selon l’article 489 du Dahir des obligations et Contrats de 1913, de constater la vente par un acte écrit ayant date certaine puis procéder à l’enregistrement afin que le contrat puisse produire ses effets à l’égard des tiers.
Le notaire est un auxiliaire de justice, un garant de l’état de droit et un arbitre impartial. Il a pour mission entre autres « d’authentifier au moyen d’actes inattaquables les volontés des contractants, de prévenir les litiges et procès qui en découlent, en agissant comme magistrat de l’amiable : évitant ainsi l’engorgement des tribunaux etc. A travers ses interventions, le notaire contribue significativement à la normalisation des relations contractuelles ».[2] Toutefois, le notaire ne reçoit pas tous les actes de vente concernant tous les immeubles ; c’est ainsi que la vente des biens habous ou les immeubles soumis au droit musulman sont reçus par les adouls. Il ne sera question ici que des opérations de cession à titre onéreux portant sur des immeubles assujettis au régime foncier moderne. Quelles sont donc les implications juridiques et fiscales qui découlent d’une vente immobilière ? Le rôle du notaire est très important dans la réalisation de cette opération pour préserver les intérêts des parties et permettre à l’acte de vente de produire pleinement ses effets. Pour élucider cette question nous allons analyser d’abord les implications juridiques (I) de la vente immobilière ensuite ses effets fiscaux (II).
I. Les implications juridiques de la vente immobilière
La vente de la propriété d’un immeuble ou d’un de ses démembrements se déroule en deux étapes : une première consacrée à la préparation du contrat au cours de laquelle les parties conviennent des éléments du contrat et le notaire évalue la faisabilité de l’opération (A), et une seconde relative à l’établissement de l’acte définitif puis son inscription sur le livre foncier(B).
A. La préparation du contrat de vente
Dans cette phase le vendeur et l’acheteur tentent de convenir sur l’objet de la vente, à savoir sa nature et sa consistance. Ensuite, ils discutent le prix de vente et les modalités de son paiement. Cette phase peut parfois donner lieu à l’établissement d’un acte préparatoire appelé « compromis de vente » entre les parties. Ce dernier est un acte synallagmatique par lequel le vendeur s’engage à vendre un bien immobilier à des conditions déterminées, tandis que l’acheteur s’engage à l’acquérir aux mêmes conditions. Il contient le prix de la vente éventuelle, des conditions suspensives telles que l’obtention par l’acquéreur d’un financement bancaire ou la finition des travaux de construction etc. Il est généralement établi sous la forme sous-seing privé par les parties sans aucun besoin d’enregistrement. Mais il peut également être reçu par un notaire et élevé au rang de minute après la formalité d’enregistrement, même s’il faut reconnaître que cela est rarissime dans la pratique.
Par ailleurs, les parties contactent un notaire une fois qu’elles se sont mises d’accord sur l’essentiel des éléments du contrat de vente. Ce dernier recueille un nombre important d’information sur le bien et son propriétaire afin de s'assurer de la faisabilité du projet de vente. Il se renseigne notamment auprès de la conservation foncière et l’administration fiscale si l’immeuble est exempte de toute inscription au profit d’un tiers ou de l’administration ; si tel est le cas, il vérifie si le prix est conséquent pour désintéresser le ou les principaux créanciers hypothécaires. Par la suite, il peut soit procéder à la demande de la mainlevée de l’hypothèque auprès des créanciers tout en s’engageant de leur payer sur le prix de la vente en cas de conclusion de la vente. La mainlevée de l’hypothèque s’obtient dans un délai de trois (3) jours après le dépôt d’un dossier contenant une réquisition datée et signée, l’acte de mainlevée, le duplicata du titre foncier le cas échéant, le certificat spécial et après le paiement d’un droit fixe de cent cinquante dirham (150DH) par propriété.
Dans l’hypothèse où l’acquisition de l’immeuble est financée par un crédit bancaire, le notaire s’engage à l’égard de la banque pourvoyeuse du crédit d’inscrire sur le livre foncier à son profit une hypothèque en cas signature du contrat du contrat de vente sinon à lui restituer le chèque ou le montant du chèque débloqué pour l’acquisition de l’immeuble. Dans tous les cas, c'est lorsque le notaire estimera que toutes les conditions sont réunies qu'il procède à l’établissement de l’acte de vente définitif.
B. L’établissement de l’acte définitif et son inscription sur le livre foncier
Le notaire est tenu d’établir un acte de vente en bonne et due forme reflétant la volonté des parties. Il doit être appliqué et rigoureux dans cette entreprise de rédaction au risque d’engager sa responsabilité civile pour la nullité prononcée par la justice contre un acte établi par lui suite à une faute professionnelle, lorsque cette nullité porte préjudice à l'une des parties à l'acte.[3] Après l’établissement de l’acte de vente définitif, le notaire convoque les parties déjà comparues devant lui pour leur donner lecture de l’acte. Elles ont la faculté d’apporter à l’acte des modifications. Elles ne signent avec le notaire que si elles estiment que le contrat exprime pleinement leur volonté. Une mention spéciale est faite dans acte définitif à cet effet. Le contrat contient généralement une clause relative aux « réquisitions et pouvoirs » à travers laquelle les comparants, c'est-à-dire les parties requièrent Monsieur le Conservateur de la Propriété Foncière de procéder à l’inscription de l’acte de vente sur le dossier du titre foncier et de délivrer un certificat de propriété, ou de copropriété selon les cas, au nom de l’acquéreur ; une délégation de pouvoir est faite au notaire de procéder à la formalisation de l’acte.
Une fois la vente conclue, le notaire constitue un dossier contenant l’expédition de l’acte de vente accompagnée de la photocopie de la pièce d’identité de l’acquéreur plus éventuellement du duplicata du titre foncier et la mainlevé de l’hypothèque grevant l’immeuble ; ensuite, il l’envoie à la conservation foncière du lieu de situation de l’immeuble cédé aux fins d’inscription. Le conservateur procède à l’inscription de l’acte de cession et éventuellement de l’hypothèque consentie par l’acquéreur au profit d’un créancier sur le livre foncier après paiement des frais de conservation.
L’inscription de l’acte donne lieu au paiement d’un droit ad-valorem d’un pour cent (1%) du prix de cession plus soixante quinze dirhams (75dh) de droit fixe. Le requérant peut obtenir la délivrance du certificat d’inscription le jour du dépôt de la déclaration et celle du certificat de propriété après deux jours contre paiement de soixante quinze dirham (75dh).
L’inscription d’une hypothèque donne lieu également au paiement d’un droit fixe de soixante quinze dirhams (75dh) en plus d’un droit ad-valorem dont le montant est défini en fonction d’un barème ou tableau préétabli. Voir ci-dessous le tableau :
Montant garantie par l’hypothèque |
Droit ad-valorem |
≥ 50.000 DH |
0,5 % |
50.001 DH ≥ 150.000 DH |
0,75% |
150.001 DH ≥ 5.000.000 DH |
1% |
5.000.001 DH ≥ 100.000.000 DH |
0,75% |
Au-delà ……………………………… |
0,50% |
Ce n’est qu’après l’accomplissement de cette formalité que la vente deviendra définitive et opposable à l’égard des tiers. Toutefois, l’inscription de l’acte à la conservation foncière est précédée par des formalités fiscales qui conditionnent la recevabilité de la demande formulée auprès du Conservateur.
II. Les implications fiscales de la vente immobilière
La vente d’un bien immeuble donne lieu à plusieurs prélèvements fiscaux. Les plus fréquemment supportés par les parties sont les droits d’enregistrement (A) et la taxe sur les profits fonciers (B).
A. Droit d’enregistrement
La formalité de l’enregistrement a pour effet de faire acquérir date certaine aux conventions sous seing privé au moyen de leur inscription sur un registre dit "registre des entrées" et d’assurer la conservation des actes (Art.126 CGI 2008). Dans notre cas ici, le taux d’imposition applicable est de 4% du prix de cession pour les immeubles Bâtis et les terrains destinés à être construits dans un délai de sept ans ; 6% du prix de cession pour les terrains nus. Le montant de l’impôt dû doit être versé dans un délai de 30 jours à compter de la signature de l’acte définitif. Ce taux varie en fonction de la nature de la cession ou de l’immeuble cédé. Il est important de signaler que cette formalité conditionne l’inscription de la cession sur le livre foncier. Après cette formalité l’acquéreur devient propriétaire du bien cédé mais le vendeur ne va pas automatiquement rentrer en possession du prix de vente, il doit d’abord régulariser définitivement sa situation à l’égard de l’administration fiscale.
B. L'impôt sur le profit foncier (IR/PF) et le quitus fiscal
Le vendeur d’un bien immeuble est assujetti à l’impôt sur le profit foncier (IR/PF). Le calcul de cet impôt est un peu complexe, raison pour laquelle le vendeur laisse au notaire le soin de le déterminer puis de procéder à son versement. L'IR/PF s’obtient à partir du prix d’acquisition de l’immeuble vendu sur lequel on applique un coefficient de réévaluation pour avoir la valeur actuelle du bien. A cette valeur sont ajoutés les frais d’acquisition évalués forfaitairement à 15% du prix d’acquisition, les dépenses d’investissements (avec justificatifs), les intérêts des emprunts et autres frais financier pour avoir le coût revient actualisé ou définitif. C’est la différence entre le coût revient actualisé et le prix de cession qui permet d’avoir le profit imposable. Ce profit est multiplié par un taux de 20% pour obtenir le montant de l’impôt à verser. Ce montant ne peut être inférieur à 3% du prix de cession qui représente le minimum de perception même en l’absence de profit. Il existe des cas d’exonérations à l'IR/PF qui sont définis à l’article 63 du code général des impôts (CGI).
Après avoir payé l'IR/PF et le vendeur doit se faire délivrer le quitus fiscal certifiant qu’aucune dette fiscale de l’administration ne subsiste à son égard sur le bien vendu. C’est suite à la production de ce document que le notaire peut en toute sécurité lui remettre le prix de la cession.
[1] Article 478 du Dahir des obligations et contrats de Septembre 1913.
[2] Chambre Nationale du Notariat Moderne du Maroc (CNM), Annuaire des Notaires du Maroc, 1ère Edition, 2008, p.5.
[3] Article 28 du projet de loi n°32-09 relatif à l’organisation de la profession de notaire et à la création d’un ordre national des notaires.